A la recherche de planètes habitables

Des planètes « habitables » ?

Au fur et à mesure que les techniques de détection s’affinent, on découvre des exoplanètes dont les caractéristiques (la masse, le diamètre) se rapprochent de celles de la Terre, et on se demande naturellement si certaines d’entre elles pourraient abriter une forme de vie, ou du moins présenter des conditions propres à favoriser l’évolution de la matière organique vers le vivant.

Certains ingrédients sont reconnus comme nécessaires à l’émergence du vivant : la présence de façon durable d’eau liquide et la matière organique c’est-à-dire la chimie du carbone (voir https://bonneviller.blog/lapparition-de-la-vie-mode-demploi/). Mais si ces conditions sont nécessaires, d’autres, propres à l’exemple terrestre, pourraient ne pas l’être. Le cas de la Terre est en effet très particulier, à travers notamment :
– l’inclinaison quasiment constante de l’axe de rotation propre de la planète sur le plan de l’orbite, en raison de la présence d’un gros satellite, la Lune ;
– une orbite presque circulaire, qui favorise la stabilité du climat ;
– l’existence d’une magnétosphère, qui protège la surface du vent solaire ;
– une tectonique de plaques.
Certaines des caractéristiques ci-dessus peuvent exister ailleurs mais la probabilité de retrouver exactement les mêmes conditions est nulle.

Une autre conception de l’habitabilité

Une conception alternative de l’habitabilité serait de rechercher des planètes que l’humanité pourrait éventuellement coloniser, soit pour les exploiter soit pour s’y réfugier quand la dégradation de l’environnement et le changement climatique auront rendu la Terre inhabitable (voir le film Interstellar).

Cependant la durée du vol interstellaire rend cette perspective illusoire. Par exemple, l’étoile Trappist 1, dont nous parlerons plus loin, est située à 40 années-lumières de la Terre ; en nous déplaçant à une vitesse égale à 1% de la vitesse de la lumière, soit 3000 km/s, ce qui serait considérable car les engins spatiaux les plus rapides aujourd’hui atteignent moins d’un dixième de cette vitesse (147 km/s pour la sonde solaire Parker), il faudrait 4000 ans pour s’y rendre. La seule possibilité serait qu’une nouvelle physique encore à élaborer montre la possibilité de raccourcis dans l’espace-temps, hypothèse chérie des auteurs de science-fiction (voir ici encore Interstellar ou les aventures de Valerian).

La « zone habitable »

La présence durable d’eau liquide étant reconnue comme indispensable à l’émergence de la vie, on appelle couramment zone habitable la région autour d’une étoile où de l’eau liquide peut exister durablement à la surface d’une planète.

[Remarquons que l’eau liquide n’est pas stable thermodynamiquement à la surface de la Terre : elle s’évapore. Mais il y a un cycle de l’eau qui permet la présence durable d’eau liquide en surface ; l’eau évaporée monte dans l’atmosphère, elle est transportée par les vents, se refroidit, et retombe ailleurs sous forme de pluie ou de neige.]

L’extension de cette zone dépend
– du type d’étoile : sa luminosité, le spectre de son rayonnement, sa température, sa masse, sa métallicité (on appelle ainsi l’abondance d’éléments autres que l’hydrogène et l’hélium dans l’atmosphère de l’étoile) ;
– de son âge ; en effet au début de son existence, le Soleil rayonnait davantage dans l’ultraviolet qu’aujourd’hui (on parle du « jeune Soleil froid ») ;
– de sa durée de vie, car il faut que la vie ait eu le temps d’émerger et de se développer ;
– de la distance moyenne de la planète à l’étoile.

Mais ce n’est pas tout. L’habitabilité dépend aussi de façon critique de l’existence d’une atmosphère planétaire, de sa pression, de sa température et de sa composition, notamment de la présence de gaz à effet de serre tels que la vapeur d’eau H2O, le dioxyde de carbone CO2 et le méthane CH4. Sur Terre, sans l’effet de serre dû à la vapeur d’eau atmosphérique, la température moyenne du globe serait proche de -20°C.

[Cet équilibre climatique est très fragile : Par le passé, au cours de l’ère précambrienne, la Terre a connu plusieurs épisodes de gel intégral, lui donnant l’aspect d’une boule de glace.]

Dans le système solaire, Mars et Vénus illustrent deux cas extrêmes :

VénusTerreMars
Pression atmosphérique moyenne93 bar (CO2)1 bar0,01 bar (CO2)
Température moyenne462°C+15°C-63°C

Ces deux situations, dans lesquelles l’eau liquide ne peut pas exister durablement en surface, marquent les limites intérieure et extérieure de la zone habitable du système solaire, qu’on transpose aux exoplanètes qu’on a découvertes. En-deçà de la zone habitable, l’eau ne pourrait exister en surface qu’à l’état de vapeur ; au-delà de la zone habitable, elle ne pourrait exister en surface qu’à l’état de glace.

A la recherche de planètes « habitables »

On a détecté des planètes autour d’objets exotiques (par exemple autour de certains pulsars, qui sont le stade final de la vie de très grosses étoiles) ou de naines brunes (de très petites étoiles dont la masse est trop faible pour avoir permis l’allumage des réactions de fusion nucléaire). Cependant les conditions au voisinage de ces objets ne sont manifestement pas favorables à l’émergence de la vie. Par ailleurs, les grosses étoiles très massives et très lumineuses (géantes blanches ou bleues) ont une durée de vie trop brève pour que le vivant ait eu le temps d’émerger.

On s’intéressera donc à des étoiles de petite taille, dans la séquence principale de leur évolution pendant laquelle leur Hydrogène est transformé en Hélium par fusion nucléaire. On recherchera autour de ces étoiles des planètes telluriques pourvues de conditions permettant la présence durable d’eau liquide en surface.

Les étoiles de type « naines rouges »

Les naines rouges, comme Gliese 581, Trappist 1, Kepler 16b, Proxima Centauri, sont des étoiles moins lumineuses et moins massives que le Soleil. Leurs planètes sont donc plus faciles à détecter par la méthode des transits et par celle des vitesses radiales. Ces étoiles sont très abondantes, environ 80% des étoiles de la galaxie, et elles ont une très longue durée de vie.

Le problème est que leur zone habitable est très proche de l’étoile. La synchronisation par effet de marée de la période de rotation propre d’une éventuelle planète avec sa période de révolution orbitale est très probable, comme c’est le cas de la Lune autour de la Terre. Si la rotation propre de la planète et sa révolution orbitale sont synchrones, la planète présente toujours la même face à l’étoile ; un hémisphère est donc toujours éclairé et chaud, et l’autre toujours dans l’obscurité et froid.

Cependant, si la planète a une atmosphère, des vents transportent en permanence la chaleur de l’hémisphère chaud vers l’hémisphère froid. On peut envisager que cette circulation puisse tempérer suffisamment les conditions en surface pour y permettre la présence durable d’eau liquide. A contrario on peut penser que l’eau liquide qui aurait pu être présente jadis sur l’hémisphère chaud se serait évaporée pour retomber sur l’hémisphère froid où elle se serait accumulée sous forme de glace ; toute l’eau aurait été transférée d’une face vers l’autre et la présence d’eau liquide en surface serait alors impossible, sauf éventuellement dans une étroite zone tempérée à la limite jour / nuit.

[Selon certains scientifiques, la circulation de l’atmosphère peut freiner la planète et s’opposer assez aux forces de marée pour que la rotation et la révolution ne soient pas synchrones.]

Un exemple : Gliese 581

Gliese 581 est une naine rouge de masse 0,3 MSoleil, située à 20 années-lumières de la Terre. Six planètes ont été détectées autour de Gliese 581, dont deux, Gliese 581 c et d, sont les premières exoplanètes à avoir été trouvées dans la zone habitable de leur étoile. L’existence de 3 de ces planètes, Gliese 581 d, g et f, est néanmoins mise en doute.

Autre exemple : l’étoile du Trappist (Trappist-1)

Comparaison du système planétaire de Trappist-1 avec le système solaire (1).
Trappist-1 est une naine rouge de masse 0,1 MSoleil située à 40 années-lumière de la Terre. 7 planètes ont été détectées autour de l’étoile, dont 3 dans la zone habitable.

Comparaison du système planétaire de Trappist-1 avec le système solaire (2).
Si les planètes détectées autour de Trappist-1 sont assez semblables à la Terre par leur diamètre et leur masse, elles font le tour de leur étoile en quelques jours seulement.

Les étoiles de type « naines jaunes »

Ce sont des étoiles de même type que le Soleil, par exemple 51 Pegasi (la première exoplanète détectée), Kepler-22, α Centauri A & B. Elles représentent environ 10% des étoiles de la galaxie.

Un exemple : Kepler-22

Kepler-22 est une étoile de type naine jaune, de masse 0,97 MSoleil, située à 638 années-lumières de la Terre. Une planète baptisée Kepler-22b a été détectée dans sa zone habitable. Elle est de type « Super Terre », c’est-à-dire qu’il s’agit d’une planète tellurique dont le diamètre est de l’ordre de 2 fois le diamètre terrestre.

Caractéristiques de Kepler-22b
Rayon (R)         2,4 RTerre
Masse (m)        35 MTerre
Distance à l’étoile      0,85 u.a. (1 u.a. = 150 millions de km)
Période de révolution   290 jours

Comparaison de Kepler-22 avec le système solaire
(Crédit : NASA/Ames/JPL-Caltech)

Attention danger : géantes gazeuses

Les planètes géantes gazeuses se forment très tôt au sein du système proto-planétaire dans le disque de gaz et de poussières qui entoure la proto-étoile. On a vu (https://bonneviller.blog/la-formation-des-systemes-planetaires/) que peu après leur formation, leur interaction avec le disque provoque une migration vers l’intérieur du système. Au cours de cette migration, elles vident l’espace, ce qui contrarie la formation des planètes telluriques. Dans le système solaire, la migration de Jupiter et Saturne s’est interrompue (le « Grand virage de bord »), ce qui a permis la formation des planètes telluriques. Dans le système de Kepler-22, aucune géante gazeuse n’a été détectée.

Cas d’une étoile binaire

Ce cas est très fréquent : les 2 étoiles tournent autour de leur centre de gravité commun. On a affaire à un problème à 3 corps, les deux étoiles et la planète, dont l’un, la planète, est beaucoup moins massif que les deux autres.

Exemple 1 : Kepler-16

Kepler-16 est un système binaire constitué de Kepler-16A de type naine orange et de Kepler-16B de type naine rouge. Une planète (en rouge sur la figure) est en orbite autour du couple d’étoiles (en bleu).

Caractéristiques orbitales de la planèteCaractéristiques physiques
Demi-grand axe (a)  0,705 uaMasse (m)   0,333 ± 0,016 MJupiter
Excentricité (e)    0,007Rayon (R)   0,753 8 ± 0,002 5 RJupiter
Période (P)     228,776 jours
Inclinaison (i)    90,032
 Rayon (R)      0,753 8 ± 0,002 5 RJupiter
Vue d’artiste du système Kepler-16 : Kepler-16A est en jaune (étoile naine orange), Kepler-16B en orange (étoile naine rouge) et Kepler-16 b en violet (planète) (Crédit : Silver Spoon)

Exemple 2 : α Centauri

α Centauri A et B sont les 2 composantes d’un système binaire située à 4,4 années-lumière du système solaire, de masses respectives 1,1 et 0,9 MSoleil, de même type (naine jaune) que le Soleil. Les 2 étoiles tournent autour de leur centre de gravité commun, leur distance variant entre 11 et 36 u.a. (1 u.a. = 150 millions de km).
Existe-t-il une planète (en rouge sur la figure) en orbite autour d’une des deux composantes du système binaire (en bleu) ?

Pour α Centauri B, 2 planètes ont été annoncées dont l’une est sans doute un faux positif et l’autre reste à confirmer. Pour α Centauri A, 1 planète est suspectée.

En Mai 2028, un effet de microlentille gravitationnelle se produira lorsque α Centauri A passera devant une étoile supergéante plus éloignée baptisée S5. Cet événement, qui sera suivi par les observatoires de l’ESO, devrait permettre de mettre en évidence une éventuelle planète en orbite autour d’α Centauri A.

[L’événement de Mai 2028 sera suivi à l’ESO par l’instrument GRAVITY installé sur le VLTI (Very Large Telescope Interferometer), le réseau de radiotélescopes ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array), et le futur E-ELT (European-Extremely Large Telescope).]

Etoile binaire : une planète passant entre les 2 étoiles ?

On pourrait imaginer une orbite planétaire passant entre les deux étoiles : la planète (en rouge sur la figure) orbite autour d’une étoile, arrive au point où les attractions gravitationnelles des 2 étoiles s’équilibrent, est capturée par l’autre etc. Mais les deux étoiles ne sont pas immobiles et tournent autour de leur centre de masse commun ; la planète subit ainsi une force d’inertie centrifuge et finit plus ou moins rapidement par être éjectée du système. L’orbite n’est donc pas stable.

Système binaire : un cas très particulier

On peut montrer qu’un système à 3 corps en interaction gravitationnelle est en équilibre quand les 3 corps forment un triangle équilatéral. Dans le cas d’une planète et d’un système stellaire binaire, on pourrait imaginer une planète se trouvant à l’un ou l’autre des points formant un triangle équilatéral avec les centres des deux étoiles, ce qu’on appelle les « points de Lagrange » L4 et L5. On peut montrer que ces deux positions sont stables. La planète accompagnerait la rotation des deux astres autour de leur centre de gravité commun.

Cette situation est celle des astéroïdes grecs et troyens du système solaire, placés aux points de Lagrange L4 et L5 du couple Soleil – Jupiter. Mais on n’a pas encore détecté de système exoplanétaire dans cette configuration.

Et les satellites des planètes géantes ?

C’est un autre exemple de système à 3 corps : l’étoile est beaucoup plus massive que la planète géante, elle-même beaucoup plus massive que son satellite.

Dans le système solaire, l’exemple d’Europe, satellite de Jupiter qui contient sous une croûte de glace un océan salé en contact direct avec un cœur rocheux, est particulièrement intéressant. La chaleur dissipée par les forces de marée dues à Jupiter permet à cet océan de rester liquide. On a donc de l’eau liquide, des minéraux, de l’énergie, ainsi que de la matière organique provenant de météorites ayant traversé la glace. Certains auteurs pensent que la vie, ou du moins une chimie prébiotique, aurait pu se développer sur Europe.

[On sait qu’au fond des océans terrestres, les cheminées hydrothermales ou « fumeurs noirs » sont des oasis de vie, abritant notamment des bactéries dont le métabolisme est basé sur des réactions chimiques impliquant des composés inorganiques, par exemple soufrés, en l’absence d’oxygène et de photosynthèse.]

On peut aussi mentionner Titan, satellite de Saturne, dont l’atmosphère, constituée principalement de diazote gazeux, contient aussi du méthane. Même si les conditions sur Titan, où la température moyenne en surface est proche de -180°C , n’est pas favorable à la vie, azote et méthane réagissent sous l’effet du rayonnement solaire, faible à cette distance, pour produire divers composés organiques.

Perspectives

L’imagerie directe d’exoplanètes commence à devenir possible grâce à des progrès technologiques tels que l’optique adaptative qui permet de corriger la turbulence atmosphérique. Il est nécessaire de diminuer au maximum le contraste de lumière entre l’étoile et la planète, ce qui favorise les étoiles peu lumineuses et les très grosses planètes loin de l’étoile.


Première détection d’une exoplanète par imagerie directe :
L’étoile 2M 1207 est une naine brune de masse 0,025 MSoleil
Caractéristiques de l’exoplanète
: Masse 5 MJupiter , Distance à l’étoile 55 u.a.
(Crédit : G. Chauvin et al., 2004)

Un masque coronographique appliqué sur l’étoile permet d’explorer son environnement immédiat.


Détection par coronographie du système planétaire autour de l’étoile HR 8799.
Les 4 planètes a, b, c et d ont des masses de 7 à 10 fois la masse de Jupiter.
(crédit : C. Marois et al., 2008)

L’étude de l’atmosphère des exoplanètes (pression, température, composition) va devenir également possible grâce à de nouveaux instruments tels que le télescope spatial JWST (James Webb Space Telescope) ou le futur E-ELT (European Extremely Large Telescope).

JWST (crédit : NASA)
European Extremely Large Telescope (crédit : ESO)

Un exemple est le spectre obtenu par le JWST de l’atmosphère de l’exoplanète K2-18 b (annonce du 11/09/2023).
K2-18 est une étoile naine rouge de masse 0,41MSoleil, située à 124 années-lumières de la Terre. Elle est accompagnée d’au moins deux planètes de type Super-Terre, K1-18b et K1-18c, dont l’une, K1-18b, est située à l’intérieur de la zone habitable de l’étoile. On remarquera que les orbites des 2 planètes sont fortement excentriques.

Le spectre montre la présence de Méthane CH4, de Dioxyde de Carbone CO2, et de Sulfure de Diméthyle (CH4)2S.
(Crédit NASA)

Je remercie Thérèse Encrenaz, de l’Observatoire de Paris pour ses remarques. Cet article est la version rédigée d’une conférence donnée le 22/09/2023 à Pornichet dans le cadre de l’association Grain de Ciel.