Astrophysique et physique des particules

Ceci est le texte d’une conférence donnée le 6/11/2021 à Pornichet, 26/11/2021 dans le cadre de l’association Grain de Ciel.

Les interactions fondamentales de la physique

De nos jours astrophysique et physique des particules tendent à se rejoindre à travers divers problèmes liés à l’unification des interactions fondamentales et à la position particulière de la gravitation vis à vis des autres interactions.

Commençons donc par un bref rappel sur les interactions fondamentales de la physique.

Il y a d’abord la gravitation, qui est responsable de la chute des pommes, du mouvement des planètes, des étoiles, des galaxies, et de la structure de l’univers à grande échelle. Elle est attractive, sa portée est infinie (elle décroît comme le carré de la distance) et son intensité dépend des masses des objets en interaction. Elle est négligeable à l’échelle de l’atome mais prédominante à l’échelle du système solaire.

Les autres interactions sont l’interaction électromagnétique, l’interaction nucléaire forte, l’interaction nucléaire faible.

L’interaction électromagnétique est responsable de la cohésion des atomes et des molécules, de l’organisation de la matière condensée, des phénomènes magnétiques et électriques, de l’optique, des ondes radio & TV, des orages, etc. Elle est attractive entre charges électriques de signes contraires et répulsive entre charges électriques de même signe. Sa portée est infinie et son intensité est caractérisée par une constante de couplage α [1] de l’ordre de 10-2.

L’interaction nucléaire forte est responsable de la cohésion du noyau atomique. Sa portée est courte (~ 10-15m) et son intensité très élevée, 100 fois plus forte que l’interaction électromagnétique.

L’interaction nucléaire faible est responsable de certaines instabilités du noyau atomique comme la radioactivité β. Sa portée est très courte (~ 10-18m) et son intensité est très faible, 1000 fois plus faible que l’interaction électromagnétique.

L’histoire de la physique

L’histoire de la physique est résumée très sommairement dans les deux planches ci-dessous. Elle fonctionne par synthèses successives et on peut identifier deux voies.

Dans la première de ces voies, les lois de la mécanique et celles de la gravitation sont énoncées par I. Newton à la fin du XVIIème siècle. Entre le milieu du XVIIIème siècle et le milieu de XIXème siècle sont élaborées les lois de l’électricité, du magnétisme et de l’optique, dont la synthèse est effectuée par J. Maxwell en 1864. Publiée par A. Einstein en 1905, la théorie de la Relativité Restreinte réalise la synthèse de l’électromagnétisme et de la mécanique ; la mécanique de Newton est une approximation de la mécanique relativiste aux vitesses faibles devant celle de la lumière. Puis en 1915 la théorie de la Relativité Générale d’Einstein réalise la synthèse entre relativité et gravitation ; la gravitation de Newton est une approximation valable dans le cas de champs de gravitation faibles et lentement variables. Appliquée à l’univers entier et à la cosmologie, la Relativité Générale a conduit vers l’an 2000 à la théorie L CDM, le « modèle standard » de la cosmologie, dont il sera question plus loin.

Et puis il y a une autre voie. A la fin du XIXème siècle la théorie atomique est admise ; on reconnait que la matière est composée d’atomes, constitués d’un noyau et d’un cortège d’électrons ; on reconnait également qu’à l’échelle de l’atome les grandeurs physiques, notamment l’énergie, peuvent varier de façon discontinue, et que la matière, aussi bien d’ailleurs que la lumière, peut manifester tantôt les propriétés d’une onde et tantôt celles d’un corpuscule. La synthèse entre mécanique et théorie atomique donne naissance à la mécanique quantique qui se développe dans le premier quart du XXème siècle (M. Planck, N. Bohr, L. de Broglie, E. Schrödinger, W. Heisenberg, P. Dirac, etc). La synthèse entre Relativité Restreinte et mécanique quantique donne naissance à l’électrodynamique quantique vers le milieu du siècle (R. Feynman, F. Dyson, etc). Entretemps, l’étude du noyau atomique a conduit à la découverte de nouvelles particules et d’interactions autres que l’électromagnétisme et la gravitation : les interactions nucléaires forte et faible. Le rapprochement avec l’électrodynamique quantique donne naissance à la théorie quantique des champs dans la seconde moitié du siècle, d’où est issu vers 1980 le modèle standard de la physique des particules dont on parlera également plus loin.

Aujourd’hui, l’univers est donc décrit à grande échelle par la Relativité Générale, qui est une théorie géométrique, non quantique, de la gravitation, et à l’échelle atomique et sub-atomique par le « modèle standard » de la physique des particules, qui rend compte dans un même cadre théorique, la théorie quantique des champs, des interactions fondamentales autres que la gravitation (interactions forte, faible, électromagnétique). Ce sont deux théories très différentes dans leur nature et leur structure. Les deux voies de synthèse résumées ci-dessus peuvent-elles alors être à leur tour regroupées dans un cadre unique ? That is the question !

La Relativité Générale

La surface d’une sphère est un espace courbe à 2 dimensions puisqu’il suffit de 2 coordonnées, la latitude et la longitude, pour connaître la position de tout point de la surface. L’espace-temps de la Relativité Générale est un espace courbe à 4 dimensions ; sur cette surface courbe à 4 dimensions, on peut localement définir 3 coordonnées d’espace et une coordonnée de temps.

Cette notion de courbure de l’espace-temps était absente de la Relativité Restreinte ; le principe de cette dernière était l’invariance globale des lois physiques par une classe particulière de transformations géométriques combinant les coordonnées d’espace et de temps, les transformations de Lorentz. L’ensemble de ces transformations forment un groupe au sens mathématique du terme, le groupe de Lorentz. Cette invariance globale des lois physiques par le groupe de Lorentz en Relativité Restreinte devient une invariance locale en Relativité Générale, c’est-à-dire qu’elle dépend des coordonnées du point d’espace-temps considéré.

En Relativité Générale, la gravitation est interprété comme une déformation de la géométrie de l’espace – temps par son contenu en énergie (matière et rayonnement). Cela est résumé par la relation (exprimée ici sous forme simplifiée)[2]

G est une grandeur mathématique qui caractérise la courbure de l’espace-temps, χ est une constante (c’est à peu de choses près la constante de gravitation de Newton), T caractérise la densité d’énergie, tous types confondus, et Λ est un paramètre constant qu’on appelle la « constante cosmologique », qui caractérise la courbure d’un univers vide, sans contenu de matière ou de rayonnement[3].

En retour la géométrie de l’espace-temps détermine les trajectoires des objets massifs et des rayons lumineux.

La Relativité Générale peut être appliquée à des objets astrophysiques mais aussi à l’univers tout entier. Pour simplifier les calculs, on suppose que celui-ci est spatialement homogène et isotrope, c’est-à-dire que ses propriétés sont les mêmes en tout point dans toutes les directions ; on peut alors séparer les coordonnées d’espace et de temps et résoudre complètement les équations de la Relativité Générale, ce qui a été fait dès les années 1920 par Friedmann et Lemaître de façon indépendante. Une conséquence est l’expansion de l’univers. La trame de l’espace – temps se dilate avec le temps, et les objets qui constituent le contenu matériel de l’univers s’éloignent les uns des autres, comme des points sur la surface d’un ballon que l’on gonfle. En rembobinant le film vers l’origine des temps, on arrive au point où les dimensions spatiales tendent vers 0, tandis que d’autres quantités comme la densité d’énergie deviennent infinies : c’est le Big Bang.

Cependant, en dépit de ses succès, la Relativité Générale n’est pas la description ultime de la gravitation car d’une part elle présente une singularité embarrassante[4] au temps 0 (le Big Bang), et d’autre part elle ne prend pas en compte les effets quantiques, dominants dans l’univers primordial.

De plus, elle n’explique pas le sens de la constante cosmologique Λ[5]. A l’échelle d’un objet astrophysique, les effets gravitationnels apparaissent comme des irrégularités sur une trame de fond et Λ n’intervient pas, mais elle joue un rôle important à l’échelle de l’univers entier.

L’expansion cosmique

La réalité de l’expansion cosmique prédite par l’application de la Relativité Générale à l’univers entier a été confirmée par l’observation astronomique (E. Hubble, 1929) : les galaxies s’éloignent les unes des autres, et donc de nous, d’autant plus vite qu’elles sont plus distantes. Cette observation est résumée par la relation de Hubble entre la vitesse d’éloignement des galaxies v et leur distance d

v/d = H

H est le paramètre de Hubble. On remarque que c’est l’inverse d’un temps ; cependant il est généralement exprimé en kilomètre par seconde et par Mégaparsec (1Mpc ≈ 3,26 106 années-lumière). Il n’est a priori pas constant au cours de l’histoire cosmique et sa valeur présente est H0 ~ 70 km s-1Mpc-1. Si cependant on suppose que H a peu varié c’est-à-dire que H(t) ~ H0, on déduit que l’âge de l’univers est de l’ordre de H0-1 , soit environ 14 milliards d’années.

Où l’on arrive à l’énergie noire …

On pensait naguère que l’expansion de l’univers à la suite du Big Bang devait ensuite se ralentir sous l’effet de la gravitation puisque celle-ci est une force attractive. Or on a constaté que l’expansion est au contraire en phase de ré-accélération depuis environ 6 milliards d’années (S. Perlmutter et al., 1998). Il existerait donc à l’échelle du cosmos une force répulsive qui s’opposerait à la gravitation. On peut rendre compte de cette force en donnant une valeur ad hoc à la constante cosmologique Λ des équations de la Relativité Générale : en l’incorporant au contenu énergétique de l’univers, Λ peut représenter une forme d’énergie constante, uniformément présente dans l’univers en tout point et à toute époque. C’est ce qu’on appelle l’« énergie noire ». Sa nature est inconnue. Elle a cependant les caractéristiques d’une énergie du vide en physique quantique et pourrait être associée à une nouvelle interaction fondamentale.

… Et à la « matière noire »

Par ailleurs, pour expliquer la forme et la dynamique de rotation des galaxies, il faut supposer que la distribution réelle des masses en leur sein est très supérieure à celle de la seule matière visible (V. Rubin et al., années 70). Il existerait donc au sein des galaxies une matière invisible, sensible uniquement à la gravitation. Cette « matière noire », de nature inconnue, représenterait en fait la plus grande partie du contenu matériel de l’univers, à moins, comme cela a été proposé par certains théoriciens, de modifier les lois de la gravitation.

Courbe de rotation typique d’une galaxie en fonction de la distance au centre galactique (en rouge) et courbe attendue d’après la masse galactique visible (en pointillés bleus) (Crédit : W. Crochot). On s’attendrait à ce que la vitesse de rotation décroisse quand on s’éloigne du centre, or elle est sensiblement constante.

La distribution 3d de la matière noire dans l’univers vue par le satellite Planck (Crédit : ESA & collaboration Planck). La barre grise au milieu de la figure est un effet causé par notre propre galaxie, la Voie Lactée.

Le modèle Λ CDM

Le modèle Λ CDM, qui est aujourd’hui le « modèle standard » de la cosmologie, contient deux ingrédients.

CDM (Cold Dark Matter) : la « matière noire » froide est une forme de matière hypothétique qui n’est sensible qu’à la gravitation ; elle est présente au sein des galaxies et explique leur forme et leur rotation ; elle représente selon les résultats du satellite européen PLANCK (voir plus loin) 26,6% du contenu énergétique total de l’univers ; la matière ordinaire « baryonique »[6] ne représente que 4,9 % du contenu de l’univers, dont moins de 1% de matière visible[7].

Λ est la constante cosmologique des équations de la Relativité Générale, qui peut représenter une forme d’énergie uniformément présente dans l’univers ; cette « énergie noire », qui représente selon PLANCK 68,5% du contenu énergétique total de l’univers, a les caractéristiques d’une énergie du vide quantique et pourrait être associée à une nouvelle interaction fondamentale.

Le contenu de l’univers aujourd’hui d’après les résultats du satellite européen PLANK (2018). Crédit: ESA & collaboration PLANCK

La question qui se pose est alors celle-ci : quelle est la nature de la matière noire et de l’énergie noire? Et existent-elles, ou bien comme l’éther de la fin du XIXème siècle, ne seraient-elles que des concepts introduits ad hoc de façon à maintenir debout l’édifice théorique existant ?

Le « modèle standard » de la physique des particules

Pour rendre compte des interactions fondamentales autres que la gravitation, on dispose du « modèle standard » de la physique des particules. Son cadre est la théorie quantique des champs, qui combine, comme on l’a vu, Relativité Restreinte et mécanique quantique.

Le principe des théories quantiques des champs est l’invariance locale (c’est-à-dire dépendant des coordonnées du point d’espace-temps considéré) des lois physiques par des groupes de transformations particuliers[8].

Le modèle standard de la physique des particules

Ce modèle rend compte des interactions connues et de leurs propriétés, ainsi que du nombre et du type des particules élémentaires connues. Il a cependant plusieurs insuffisances. Le « modèle standard » admet beaucoup de paramètres libres, il ne prédit pas la masse des particules élémentaires non plus que la valeur des constantes de couplage des interactions, et il repose sur certaines hypothèses ad hoc, e.g. les groupes de symétries impliqués. De plus, il ne rend pas compte de certaines observations cruciales, par exemple la dissymétrie matière-antimatière[9] : notre univers est composé quasi-exclusivement de matière, alors que lors du Big Bang matière et antimatière auraient dû être produites en égales quantités. Enfin il ne dit rien sur l’existence et la nature de la matière noire et de l’énergie noire.

Pour aller plus loin que le « modèle standard », les théoriciens ont proposé le concept de « grande unification », selon lequel les interactions forte, faible, et électromagnétique seraient les manifestations à basse énergie d’une interaction unique de caractère plus fondamental. L’énergie caractéristique de cette « grande unification » serait gigantesque, de l’ordre de 1015 GeV [10]. Ces conditions se sont trouvées dans l’univers primordial vers 10-32 secondes après le Big Bang, de sorte que l’univers primordial est de facto un laboratoire des très hautes énergies ; par comparaison, l’accélérateur LHC du CERN près de Genève peut atteindre une énergie de 7000 GeV. Aux énergies faibles devant cette énergie de « grande unification », les interactions fondamentales autres que la gravitation sont décrites par le « modèle standard » de la physique des particules.

Le « Graal de la physique »

La physique aujourd’hui peut être représentée par la figure ci-dessous.

La Relativité Générale décrit l’univers à grande échelle tandis que le modèle standard de la physique des particules décrit l’univers à l’échelle sub-atomique, mais il n’existe pas aujourd’hui de théorie quantique de la gravitation et la « grande unification » elle-même est encore en chantier. A fortiori il n’y a pas de théorie unifiant la gravitation avec les autres interactions fondamentales.

Peut-on élaborer un cadre théorique unique qui engloberait la Relativité Générale et le « modèle standard » de la physique des particules? La construction d’une nouvelle physique allant au-delà de ces deux théories serait le « Graal des physiciens ». Partant des lois fondamentales de la physique (les propriétés de l’espace-temps, les particules et leurs interactions), elle pourrait expliquer l’univers primordial, puis la formation des étoiles et des galaxies, et l’émergence des grandes structures.

La plupart des théories d’unification ont des ingrédients communs : elles supposent l’existence de dimensions supplémentaires (on passerait de 4 dimensions à 10 dimensions au moins) et des symétries plus vastes. Elles prédisent l’existence de nouvelles interactions et de nouvelles particules. Les prédictions de ces théories doivent être confrontées aux données de l’observation et de l’expérience,  ce qui permet d’éliminer ou de contraindre certains modèles. Peuvent-elles rendre compte de la matière sombre et de l’énergie sombre?

Pour progresser, il nous faut expérimenter et observer.

Expérimenter

L’existence de nouvelles interactions fondamentales se traduirait par une violation apparente du Principe d’Equivalence à un certain degré de précision.

Qu’est-ce que le Principe d’Equivalence ?

Selon la 1ère loi de Newton, la somme des forces qui s’exercent sur un corps est le produit de sa masse inertielle mi par l’accélération γ qu’il ressent :

mi mesure donc l’inertie du corps, c’est-à-dire sa résistance au mouvement dans un champ de forces quelconque.

 Selon la 2ème loi de Newton, la force de gravitation exercée sur un corps est égale au produit de sa masse gravitationnelle mg par l’intensité du champ de gravitation g qu’il subit :

mg  mesure donc la charge gravitationnelle d’un corps, c’est-à-dire détermine le champ gravitationnel qu’il subit ou qu’il exerce.

Un constat empirique est que masse inertielle et masse gravitationnelle sont identiques : mi = mg. Par conséquent :

Autrement dit, l’accélération ressentie par le corps est identique au champ de gravitation qu’il subit. Cette identité traduit l’universalité de la chute libre : 2 corps de masse et/ou de composition chimique différentes tombent avec une même accélération dans un champ de gravitation. Cette identité est un principe de base de la Relativité Générale.

Il convient donc de tester avec précision le Principe d’Equivalence.

Les nouvelles interactions prédites par les théories d’unification se superposeraient à la gravitation à certaines échelles de distance. On peut donc tenter de mettre en évidence d’éventuels écarts avec les prédictions de la Relativité Générale. On peut tester la Relativité Générale dans le système solaire et dans l’univers proche, par exemple le décalage en fréquence des horloges dans un champ de gravitation, la déflection de la lumière par un corps massif, la trajectographie des sondes interplanétaires. On peut aussi chercher à étendre la précision des mesures des effets de  la gravitation à diverses échelles car si la connaissance précise de la gravitation est bonne dans le système solaire et dans le laboratoire, elle est assez pauvre à l’échelle de la galaxie, ou à l’échelle atomique.

Observer

Comme on l’a vu, les galaxies s’éloignent les unes des autres d’autant plus vite qu’elles sont plus éloignées (voir plus haut la relation de Hubble). Leur lumière nous parvient donc d’autant plus décalée vers les plus basses fréquences (vers le rouge) qu’elles s’éloignent plus rapidement de nous : par effet Doppler la fréquence f d’un signal lumineux est décalée d’une quantité Δf telle que Δf /f = v/c, v étant la vitesse de fuite de la galaxie et c la vitesse de la lumière.

Les objets dont le décalage vers le rouge est le plus important sont donc les plus lointains et en raison de la vitesse finie de la lumière, nous les voyons dans leur jeunesse. Ainsi, regarder loin dans l’espace c’est regarder loin dans le passé : pour explorer le passé de l’univers il faut sonder l’espace lointain.

Le rayonnement de fond cosmologique, ou CMB (Cosmic Microwave Bakground) est une photo de l’univers très jeune, âgé de 380 000 ans ; l’univers est alors devenu assez froid pour que protons et électrons s’associent pour produire des atomes d’hydrogène neutres ; c’est le phénomène de recombinaison, l’univers devient transparent et la lumière peut s’y propager librement. Le CMB est la relique de ce phénomène : l’expansion de l’univers a décalé le rayonnement émis lors de la recombinaison vers les fréquences basses du spectre électromagnétique, le domaine des micro-ondes.

Le pic de densité d’énergie est dans le domaine spectral de l’infrarouge très lointain et des ondes de longueur d’onde sub-millimétrique. Mis en évidence dans les années 60 (Penzias et Wilson, 1964), le CMB présente les caractéristiques d’un corps noir isotrope à la température de 2,7 K (voir figure). Des projets lui ont été consacrés, des ballons (BOOMERANG, ARCHEOPS) et des satellites : COBE (1989-1993), WMAP (2001-2010), PLANCK (2009-2013). Le CMB était d’abord mesuré comme parfaitement isotrope, puis COBE a mis en évidence des irrégularités dans sa distribution au niveau de 10-5 ; l’existence de ces irrégularités est nécessaire pour expliquer la formation ultérieure des galaxies et des grandes structures de l’univers.

Le CMB vu par COBE, WMAP, PLANCK

COBE et WMAP étaient des missions de la NASA. C’est le satellite PLANCK de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) qui a fourni les données les plus précises sur le CMB (voir figure). L’objectif de PLANCK est par une cartographie précise du CMB de tester la géométrie et le contenu de l’univers, et de mesurer avec précision les paramètres cosmologiques Ω, Λ, H . Λ et H ont déjà été mentionnés précédemment, Ω exprime le ratio de la densité totale d’énergie ρ contenue dans l’univers, toutes sources confondues (matière, rayonnement, énergie noire) à une valeur critique ρc.

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Le CMB vu par PLANCK (Crédit: ESA et la collaboration Planck). Les régions bleues sont les plus froides, alors que les rouges sont les plus chaudes. La différence maximale de température est de l’ordre de 0,000 1 degré Celsius.

Lancé en Mai 2009, PLANCK a terminé ses opérations en Octobre 2013 et les résultats finaux ont été publiés en Juillet 2018. Ils incluent des valeurs précises pour l’âge de l’univers (13,8 milliards d’années) et pour le paramètre de Hubble (67 km/s/Mpc), ainsi que pour les proportions relatives de matière (matière baryonique et matière noire) et d’énergie noire dans le contenu de l’univers, comme cela a été dit plus haut. Il est remarquable que PLANCK ait mesuré une valeur exactement égale à 1 pour le paramètre Ω, ce qui signifie que l’univers est spatialement plat, c’est-à-dire que sa géométrie spatiale (les 3 dimensions d’espace) est la géométrie euclidienne à laquelle nous sommes habitués[11]. L’ensemble de ces résultats étayent puissamment le modèle Λ CDM.

L’étape suivante sera la mission EUCLID de l’ESA dont le lancement est prévu en 2022. EUCLID remontera le temps. Ses objectifs seront (1) de comprendre la nature et les propriétés de l’énergie noire en mesurant avec précision l’accélération de l’expansion à différentes époques ; (2) de comprendre la nature et les propriétés de la matière noire en établissant la carte en 3 dimensions de distribution de la matière noire et des galaxies.

L’univers primordial

A partir des 3 constantes fondamentales G, c, ħ  (constante de la gravitation, vitesse de la lumière, constante de Planck) on peut former une échelle de mesure des longueurs, des temps et des masses, l’échelle de Planck :

La longueur de Planck est de l’ordre de 10-35 m , et le temps de Planck de l’ordre de 10-44 s. A titre de comparaison le rapport de la longueur de Planck à la taille d’un humain est du même ordre que le rapport de la taille d’un atome à la taille de l’univers !

On peut en déduire une échelle des grandeurs dérivées :

Avec une telle densité, toute la masse du Soleil (environ 2. 1030 kg) tiendrait à l’intérieur d’une sphère de 10-22 m de rayon, dix million de fois plus petite qu’un noyau atomique.

On sait qu’en physique quantique, les grandeurs physiques comme l’énergie ne varient pas de façon continue mais peuvent prendre une suite de valeurs discrètes, l’espace-temps lui-même étant continu. A l’échelle de Planck selon les théoriciens, la topologie de l’espace – temps est déroutante car l’espace – temps lui-même serait quantifié et aurait une structure discrète.

Aux échelles très grandes devant l’échelle de Planck, l’espace – temps semble continu. C’est alors entre 10-40 secondes et 10-35 secondes l’ère de la gravitation quantique et de la « grande unification ».

Entre 10-36secondes et 10-32secondes l’univers aurait connu une phase d’expansion considérable (d’un facteur 1026!) extrêmement rapide, qu’on appelle l’inflation cosmique[12]. A l’issue de la phase d’inflation l’univers tend vers une géométrie spatialement «plate» (Ω = 1), et la gravitation est décrite par la Relativité Générale avec une constante cosmologique Λ non nulle.

Aux époques très postérieures à la phase d’inflation (t>10-12s) les interactions fondamentales autres que la gravitation sont décrites par le « modèle standard » de la physique des particules. Jusqu’à 10-6 secondes, l’univers est une soupe chaude de particules, leptons et quarks. Vers 10-2 secondes, les nucléons (protons et neutrons) sont formés, la température de l’univers est de l’ordre de 1011 K et son rayon est de l’ordre de 3,5 années-lumière[13]. La fusion nucléaire démarre vers 1 seconde après le Big Bang et produit des noyaux d’hydrogène lourd (le deutérium D), d’hélium (3He et 4He, dont les noyaux contiennent 2 protons et respectivement 1 et 2 neutrons), et de Lithium. Après 3 minutes, cette nucléosynthèse primordiale est terminée. Le rayon de l’univers est alors de l’ordre de 50 années-lumière et sa température de l’ordre de 109 K. L’univers contient un plasma opaque fait de protons (noyaux d’hydrogène), des noyaux produits par la nucléosynthèse, et d’électrons. 380 000 ans plus tard l’univers devient transparent et émet le CMB (voir ci-dessus). Son rayon est alors d’environ 13 millions d’années lumières et sa température de l’ordre de 3000 K.

Vers 500 millions d’années, les premières étoiles s’allument et les premières galaxies se forment. Vers 13,8 milliards d’années, nous sommes ici pour en parler.


[1] Le calcul de l’énergie d’interaction électromagnétique entre 2 objets, ou de la contribution électromagnétique à l’énergie propre d’un objet peut être exprimé sous la forme d’un développement en série des puissances de α ≈ 1/137.

[2] Plus précisément

 où Gμν  est le tenseur de courbure d’Einstein,  G la constante de gravitation de Newton, Tμν  le tenseur d’énergie – impulsion et gμν  le tenseur qui décrit la métrique de l’espace-temps.

[3] On peut aussi dire que Λ définit le niveau zéro des énergies puisqu’en général ce qu’on mesure ce sont les variations d’énergie entre les états d’un système.

[4] Embarrassante car impliquant pour certaines grandeurs physiques des valeurs infinies, donc non mesurables.

[5] A l’origine, la constante cosmologique n’était qu’un degré de liberté mathématique de la théorie. Einstein a d’abord postulé pour Λ une valeur ad hoc permettant de rendre compte d’un univers sans expansion ; il est revenu sur sa position lorsque la réalité de l’expansion a été confirmée par les astronomes. Par la suite de nombreux auteurs ont purement et simplement attribué une valeur zéro à Λ faute de lui trouver une justification physique. Λ est revenue récemment sur le devant de la scène avec l’hypothèse de l’énergie noire (voir plus loin).

[6] La matière ordinaire est dite baryonique, car sa masse est due essentiellement aux protons et aux neutrons qui constituent les noyaux atomiques et qui sont des baryons (voir la section consacrée au modèle standard de la physique des particules). La contribution des électrons (leur masse est environ 2000 fois plus faible) ainsi que celle des autres particules (photons du rayonnement électromagnétique, neutrinos) est négligeable.

[7] Autrement dit, la matière noire représenterait 84,5% du contenu matériel de l’univers, le reste, soit 15,5%, étant constitué de matière ordinaire « baryonique », dont seulement 3% de matière visible.

[8] Le groupe U(1) pour l’électromagnétisme, le groupe SU(2) pour l’interaction faible, le groupe SU(3) pour l’interaction forte. Ces groupes partagent une propriété mathématique commune, ce sont des groupes dits unitaires. Au contraire, le groupe de Lorentz n’est pas un groupe unitaire. Le modèle standard de la physique des particules postule une invariance locale par le groupe produit SU(3) x SU(2 ) x U(1), complétée par le mécanisme de Higgs-Englert-Brout.

[9] A toute particule de matière correspond une particule d’antimatière ; elles ont même masse et même spin mais des charges électriques égales et opposées.

[10] 1 GeV (Giga électron Volt) vaut 1,6 10-19 J , à peu près l’énergie de masse du proton.

[11] Cependant l’espace-temps à 4 dimensions peut avoir une courbure.

[12] L’hypothèse de l’inflation cosmique est aujourd’hui assez couramment admise bien que différents modèles théoriques soient en concurrence ; il existe cependant des théories de l’univers primordial sans inflation.

[13] Après la fin de l’ère d’inflation jusqu’à la recombinaison la relation entre le rayon de l’univers R et son âge t est représenté approximativement par la relation

si t est exprimé en années et R en années-lumière. La relation entre la température T (en Kelvins) et le temps (en secondes) est approximativement