Astrophysique et physique fondamentale I. La convergence entre l’astrophysique et la physique des hautes énergies

Les interactions fondamentales

La matière ordinaire est faite d’atomes. Un atome est constitué d’un noyau et d’un cortège d’électrons. Les électrons sont des particules très légères portant une charge électrique unitaire négative. Le noyau est un assemblage de deux types de particules environ 2000 fois plus massives que l’électron : les neutrons, qui ne portent aucune charge électrique, et les protons, qui portent une charge électrique unitaire positive. Un atome comprend autant de protons que d’électrons, l’ensemble étant électriquement neutre.

C’est l’interaction électromagnétique qui assure la stabilité de l’atome à travers les interactions entre les électrons chargés négativement et le noyau chargé positivement. Il y a attraction entre charges de signes opposés et répulsion entre charges de même signe. La force électromagnétique a une portée infinie, décroissant avec la distance.

En plus de l’interaction électromagnétique on observe deux types d’interactions à l’échelle du noyau atomique :

– L’interaction nucléaire forte, qui est le ciment assurant la stabilité du noyau ; elle maintient ensemble protons et neutrons ;

– L’interaction nucléaire faible, qui est responsable de la radioactivité bêta dans laquelle un neutron se transforme en proton avec l’éjection d’un électron ainsi que d’un neutrino, une particule très légère, si légère qu’on l’a longtemps crue de masse nulle.

A côté de ces interactions, il y a l’interaction gravitationnelle, celle qui fait tomber les pommes et tourner les planètes autour du soleil, et qui structure l’univers à grande échelle.

La mécanique quantique rend compte de la stabilité des noyaux atomiques, des atomes eux-mêmes et des édifices moléculaires. Pour décrire les particules sub-atomiques et leurs interactions, on a développé au cours du 20ème siècle une théorie quantique des champs, dont le formalisme se déploie dans l’espace-temps à quatre dimensions de la relativité restreinte. La théorie quantique des champs rend compte de la diversité des particules élémentaires et des interactions fondamentales autres que la gravitation[1]. Le Modèle Standard de la physique des particules unifie les interactions faibles, fortes et électromagnétiques dans un cadre unique basé sur une propriété mathématique commune à ces interactions : elles sont associées à des propriétés d’invariance des lois physiques dans certaines transformations. On ne peut cependant pas étendre le Modèle Standard de manière à y inclure la gravitation car celle-ci ne peut pas être traitée par les procédures de la théorie quantique des champs[2]. La gravitation est décrite de façon indépendante par la Relativité Générale, une théorie géométrique reliant la géométrie de l’espace-temps à son contenu de matière et d’énergie, introduite par Albert Einstein au début du 20ème siècle. Cependant, en dépit de ses succès la Relativité Générale ne peut pas être la description ultime de gravité car elle présente comme on le verra plus loin à propos du Big Bang une singularité embarrassante à l’instant initial. En fait l’existence d’une singularité dans une théorie physique signifie que l’on atteint les limites de validité de celle-ci et qu’une théorie plus complète est nécessaire. Et de fait la Relativité Générale ne prend pas en compte les effets quantiques, qui sont essentiels dans l’univers primordial ainsi qu’aux très petites échelles.

En résumé, la physique repose donc aujourd’hui sur 2 piliers de natures très différentes : la Relativité Générale et la théorie quantique. A l’échelle atomique et sub-atomique, l’univers est décrit par la physique quantique, alors qu’à grande échelle il est décrit par la Relativité Générale.

L’astrophysique et la physique des particules tendent aujourd’hui à se rejoindre à travers divers problèmes liés à l’unification des interactions fondamentales de la nature, et de la spécificité de la gravité par rapport aux autres interactions ; le but ultime est d’élaborer une nouvelle physique au-delà de la Relativité Générale et du modèle standard de la physique des particules.

Le Principe d’Equivalence

La gravitation a donc un statut particulier par rapport aux autres interactions. Considérons en physique classique une particule de masse m portant une charge électrique q. Dans un champ électrique E elle subit une force Fel = qE et son mouvement est régi par la loi de Newton F = mƔ  qui dit que la somme des forces est égale au produit de la masse par l’accélération Ɣ. Par conséquent l’accélération de la particule est simplement Ɣ = (q/m)E . De la même façon dans un champ de pesanteur g la même particule subit une force Fgr = mg , ce qui entraîne que Ɣ = g puisque la masse figure alors dans les deux membres de l’équation de Newton. Cette égalité Ɣ = g traduit ce qu’on appelle l’universalité de la chute libre : deux corps soumis à un même champ de pesanteur ont le même mouvement, qu’ils aient ou non la même masse ou la même composition chimique. Il y a ainsi équivalence entre la « masse inerte », qui mesure la résistance d’un corps au mouvement et qui apparait dans la loi de Newton F = mƔ, et la « masse gravitationnelle », qui mesure sa sensibilité à un champ de pesanteur et qui joue dans un champ de pesanteur le même rôle que la charge électrique dans un champ électrique.

Ce « Principe d’Equivalence » a été formulé par Galilée au début du XVIIème siècle, et on l’associe souvent à une expérience que le savant italien aurait réalisée à Pise : il aurait fait tomber deux objets du haut de la célèbre tour penchée et constaté qu’ils arrivaient au sol en même temps. Mais en fait Galilée n’a jamais réalisé cette expérience. De fait si on la réalise on constate que les deux corps ne touchent pas terre en même temps, et cela pour une raison bien simple : la résistance de l’air dépend fortement de la forme des corps et de leur masse. Par contre, si on réalise ce type d’expérience dans une enceinte dans laquelle on a réalisé un vide poussé, on constate bien que les deux objets tombent à la même vitesse. Quant à Galilée, pour valider expérimentalement son hypothèse il a fait rouler des boules sur des plans inclinés, ce qui lui permettait de limiter les effets de friction par l’air ambiant.

Le Principe d’Equivalence est fondamental en Relativité Générale mais ne l’est pas en théorie quantique des champs et toutes les tentatives pour marier ces deux constructions théoriques prédisent l’existence de nouvelles interactions fondamentales, qui pourraient se manifester à travers la violation à un certain niveau de précision du Principe d’Equivalence, par exemple si ces champs hypothétiques n’agissent pas de la même manière avec les hadrons et les leptons. C’est pourquoi le test expérimental de cette équivalence à des niveaux de plus en plus fins est important, car une réponse positive serait la signature d’une nouvelle physique, au-delà de la Relativité Générale et de la théorie quantique des champs, alors qu’une réponse négative contraindrait un peu plus les théories, bien que l’imagination des théoriciens soit sans limite.

Depuis le 16ème siècle jusqu’à nos jours la précision de ces tests n’a cessé de croître, du centième jusqu’à environ 10-13 par des mesures au sol de plus en plus sophistiquées. Le satellite Microscope du CNES, en opération entre 2016 et 2018 et dont les données sont en cours d’analyse, doit permettre de franchir un pas important en gagnant d’un coup 1 à 2 ordres de grandeur sur les meilleures mesures réalisées au sol. Avec une faible partie (environ 10%) des données accumulées au cours de sa première année d’opérations, Microscope a déjà permis de repousser d’un ordre de grandeur la limite de validité du Principe d’Equivalence. Les résultats complets sont encore en cours d’analyse.


[1] Le Modèle Standard de la physique des particules prévoit l’existence de 2 triplets de quarks, dont sont constitués les hadrons (particules sensibles aux interactions fortes), de 3 doublets de leptons, dont l’électron et le neutrino, des 3 champs massifs médiateurs de l’interaction faible (W+, Z0, W-), d’un champ vectoriel sans masse ni charge électrique médiateur de l’interaction électromagnétique (le photon), et d’un champ scalaire massif non chargé (boson de Higgs).

[2] Les interactions électromagnétique, faible et forte sont associées à des invariances locales (c’est-à-dire dépendant en chaque point des coordonnées de ce point) des lois physiques dans des transformations d’un type donné (les mathématiciens parlent de groupes de symétries unitaires ; chaque interaction est caractérisée par une symétrie particulière). Au contraire, la gravitation est associée à une invariance locale dans une transformation de Lorentz, qui n’est pas de même type (le groupe de Lorentz n’est pas unitaire).