La Floride légifère sur le changement climatique
Le gouverneur de Floride R. de Santis a récemment promulgué une loi[1] qui allège considérablement les règlementations de son état visant à affronter le changement climatique. Selon ce texte qui a été adopté par le Congrès de Floride en Mars et entrera en vigueur le 1er Juillet, les autorités de l’État ne seront plus tenues de prendre en compte le changement climatique dans leur politique énergétique. La nouvelle loi abroge dans la législation de l’État des sections entières parlant de l’importance de réduire les pollutions qui contribuent au réchauffement de la planète. Elle interdit la construction d’éoliennes en mer dans les eaux de Floride et supprime les programmes de subventions encourageant, lorsque cela est faisable et rentable, les économies d’énergie et la mise en œuvre d’énergies renouvelables. La nouvelle loi annule également les exigences en vertu desquelles les agences de l’État doivent utiliser des produits respectueux du climat et acheter des véhicules économes en carburant. Elle empêche les municipalités de restreindre le type de combustible pouvant être utilisé dans un appareil tel qu’une cuisinière à gaz, et accorde un traitement préférentiel au gaz naturel. Cette loi « maintiendra les moulins à vent loin de nos plages, l’essence dans nos réservoirs et la Chine hors de notre État » [2], a écrit le gouverneur sur la plateforme de médias sociaux X. « Nous rétablissons la raison dans notre approche de l’énergie et rejetons le programme des fanatiques verts radicaux »[3].
Et pourtant elle chauffe
Or le changement climatique en cours est une réalité. Son signe le plus évident est la montée régulière du niveau des océans, qui menace de nombreuses zones littorales un peu partout sur la planète en raison de la fonte des glaciers et de la dilatation thermique des eaux océaniques. Un autre signe est l’observation d’événements météorologiques extrêmes (inondations, sécheresse, tempêtes et cyclones) plus fréquents et plus intenses. Tout cela est bien documenté[4].
Que l’activité humaine en soit responsable ne fait pas de doute non plus. La hausse des températures moyennes coïncide avec l’accroissement de la quantité dans l’atmosphère de gaz à effet de serre, principalement le dioxyde de carbone dû à l’exploitation massive des combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz) au XIXème et XXème siècles et jusqu’à aujourd’hui. Le dégel du sol gelé en permanence (pergélisol) dans les régions arctiques, ainsi que certaines pratiques agricoles comme l’élevage intensif, sont source de méthane, un autre puissant gaz à effet de serre. Tout cela est également bien documenté.
Les modèles climatiques de plus en plus sophistiqués rendent compte des évolutions en cours et permettent de faire des prévisions sur les évolutions à moyen terme. Le graphique ci-dessous, emprunté au climatologue J. Hansen, montre que la hausse des températures moyennes à la surface de la Terre a été modérée jusque dans les années 60, puis s’est fortement accélérée dans la période 1970-2010 et pourrait encore s’accélérer dans les prochaines décennies.

Les océans jouent notamment un rôle majeur dans les évolutions en cours en absorbant le rayonnement solaire. Le réchauffement des eaux de surface entraîne un accroissement de l’évaporation, donc une modification de la teneur en eau de l’atmosphère[5] et du régime des précipitations. Une modification de la circulation océanique, qui est un facteur majeur de la régulation du climat terrestre à grande échelle, est possible[6]. Il faut bien comprendre que le fonctionnement de la machine climatique est fortement non linéaire. Par exemple, la glace de la banquise arctique renvoie le flux solaire vers l’espace. Mais si cette banquise fond partiellement sous l’effet d’une hausse des températures, l’océan peut absorber davantage de rayonnement solaire, donc il se réchauffe encore plus, et ainsi de suite. C’est ce qu’on appelle une rétroaction[7]. Or on sait que des processus physiques non-linéaires peuvent présenter des points de bascule, passant abruptement d’un régime à un autre régime. L’inertie de la machine climatique fait qu’un retour à l’état antérieur pourrait être très lent si l’on supprimait du jour au lendemain les causes du réchauffement.
L’Atlantide, c’est nous !
C’est ce déni des connaissances scientifiques, ou cet aveuglement collectif dont la récente loi votée en Floride est un exemple frappant alors que cet état est particulièrement menacé par les effets du réchauffement climatique, qu’il s’agisse de la hausse du niveau de la mer ou des cyclones, qui me fait dire que l’Atlantide, c’est nous.
Le mythe de l’Atlantide[8] est connu à travers deux dialogues de Platon, Timée et Critias. L’Atlantide était selon Platon un continent situé au-delà des colonnes d’Hercule (le détroit de Gibraltar) au milieu de l’océan Atlantique. Les Atlantes exploitaient une terre riche et féconde, ainsi que divers minerais précieux présents en grande quantité dont ils maîtrisaient la métallurgie. Mais non contents de profiter de cette abondance, ils entreprirent une politique de conquêtes et se laissèrent entraîner par l’orgueil et la démesure. Zeus les punit de leur ubris[9]. En un jour et une nuit, le continent des Atlantes fut englouti dans les flots.
Connaîtrons-nous le sort des Atlantes ? Il ne sera pas nécessaire d’attribuer la catastrophe à la colère divine. Nous ne pourrons nous en prendre qu’à nous-mêmes car notre espèce n’est manifestement pas à la hauteur des connaissances scientifiques et techniques qu’elle a accumulées. Que faire si les responsables politiques, soumis par pusillanimité ou par intérêt à des groupes de pression mus par la recherche du profit immédiat, ignorent délibérément les avis scientifiques[10] ? Un président de la République nous avait jadis avertis : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs […]. Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas[11] » ; il n’a cependant pas fait grand-chose. Une vingtaine d’années plus tard, après une suite d’événements météorologiques catastrophiques, un de ses successeurs, apparemment mal informé, ou dont la « plume » était visiblement moins inspirée, a déploré : « Qui aurait pu prédire la crise climatique[12] ? ».
Certains prônent la fuite en avant techno-solutionniste : certes le changement climatique est un problème, oui c’est le produit des évolutions techniques et technologiques, mais on ne doute pas que de nouvelles innovations permettront de le résoudre comme on l’a toujours fait par le passé. La différence essentielle avec les époques passées est que le problème présent est global. Or il est manifeste, en observant l’état du monde, que notre espèce est incapable de penser globalement, à commencer par ses gouvernants, attachés à exercer leur pouvoir sur leur bout de territoire. Certains scientifiques cherchent à promouvoir la géo-ingénierie[13], bien que les expérimentations tentées à petite échelle ici ou là n’aient guère été concluantes. Mais ces échecs ne découragent pas les apprentis sorciers. Qui sera le chef d’état assez arrogant ou assez inconscient pour décider de mettre en œuvre à grande échelle des procédés ayant un impact climatique sur la planète entière[14] ?
[1] Loi HB 1645.
[2] “[It] will keep windmills off our beaches, gas in our tanks, and China out of our state.”
[3] “We’re restoring sanity in our approach to energy and rejecting the agenda of the radical green zealots.”
[4] Voir les rapports du GIEC. Rappelons que le GIEC (Groupe Intergouvernemental d’experts sur l’Evolution du Climat, en anglais IPCC, Intergovernmental Panel on Climate Change), consortium scientifique mis en place par l’ONU, ne fait pas de recherche per se. Il fait une revue périodique de l’état de la recherche afin d’élaborer un consensus scientifique.
[5] N’oublions pas non plus que le principal gaz à effet de serre est la vapeur d’eau contenue dans l’atmosphère : sans l’effet de serre dû à la vapeur d’eau, la température moyenne à la surface du globe serait de l’ordre de -20°C. Les océans peuvent absorber une fraction du CO2 atmosphérique, ce qui entraîne une acidification croissante des eaux, avec, pour les organismes marins, des conséquences qui s’ajoutent au réchauffement.
[6] C’est grâce au courant du Gulf Stream, qui remonte le long de l’Europe en venant du golfe du Mexique, que le climat de la France est plus clément que celui du Québec, pourtant situé à la même latitude.
[7] La disparition totale en été de la banquise arctique est inévitable à court terme.
[8] La plupart des chercheurs pensent que l’Atlantide est un conte totalement inventé par Platon afin de mettre en garde ses concitoyens athéniens sur l’évolution de leur cité. Certains pensent néanmoins que ce pourrait aussi être l’écho lointain d’un cataclysme réel comme l’explosion au XVIIème siècle av. J.-C. du volcan de Santorin, qui a été ressentie dans toute la Méditerranée orientale.
[9] « Zeus rend fou celui qu’il veut perdre », phrase attribuée à Euripide.
[10] On déplore souvent l’absence quasi-totale de culture scientifique chez nos dirigeants. Mais une formation scientifique n’est pas forcément une assurance tous risques : un président polytechnicien a gobé l’arnaque des avions renifleurs et un fameux géophysicien devenu ministre de la Recherche s’est fait le héraut du climato-scepticisme.
[11] J. Chirac, discours devant l’assemblée plénière du IVe Sommet de la Terre le 2 Septembre 2002 à Johannesburg.
[12] E. Macron, allocution télévisée du 22 Décembre 2022.
[13] Par exemple, il a été proposé d’injecter dans l’atmosphère de grandes quantités d’aérosols soufrés, qui renverront une fraction du rayonnement solaire vers l’espace. On sait maintenant que certaines éruptions volcaniques majeures survenues au cours de l’histoire ont pu, en libérant de tels aérosols, perturber temporairement le climat à l’échelle régionale, voire globale, avec des conséquences calamiteuses (précipitations chamboulées, mauvaises récoltes) sans compter d’autres effets tels que les pluies acides.
[14] On objectera que beaucoup de nos activités impactent déjà la planète entière. On retrouve en effet nos polluants, poussières radioactives et produits de l’industrie chimique, dans les endroits les plus reculés et les plus dépeuplés.