Retour sur le paradoxe de Fermi

Mais où sont-ils ? (Et nous-mêmes, où en sommes-nous ?)

Ce texte est issu d’une conférence donnée à Toulouse le 16 Novembre 2019

Introduction

L’idée de la pluralité des mondes habités est très ancienne dans la littérature, depuis certains penseurs de l’antiquité[1] jusqu’à la science-fiction moderne en passant par Lucien de Samosate au IIème siècle, Cyrano de Bergerac, Fontenelle, H.G. Wells.

Au XVIème siècle Giordano Bruno, en se référant à la théorie héliocentrique de Copernic, écrit que les étoiles sont autant de soleils qui possèdent leur cortège de planètes, et que celles-ci sont probablement habitées (L’Infini, l’Univers et les Mondes,1584):

« Il y a donc d’innombrables soleils et un nombre infini de terres tournant autour de ces soleils, à l’instar des sept « terres » [la Terre, la Lune, les cinq planètes alors connues : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne] que nous voyons tourner autour du Soleil qui nous est proche. […] Il est impossible qu’un être rationnel suffisamment vigilant puisse imaginer que ces mondes innombrables, aussi magnifiques qu’est le nôtre ou encore plus magnifiques, soient dépourvus d’habitants … »

On compte de l’ordre de 200 milliards d’étoiles dans la galaxie (et autant de galaxies dans l’univers visible) et 10% de ces étoiles sont de type solaire. La mise en évidence depuis les années 90 de planètes autour d’étoiles proches a montré que la formation de systèmes planétaires est un phénomène banal qui accompagne la formation des étoiles. On ne cesse de trouver de nouveaux systèmes planétaires, y compris autour d’étoiles très différentes de notre soleil. Les premières planètes découvertes étaient des « Jupiter chauds », c’est-à-dire des planètes géantes très proches de leur étoile (ce qui a conduit à réviser complètement nos idées sur la formation des systèmes planétaires) mais au fur et à mesure que nos moyens d’observation se perfectionnent, on commence à trouver des planètes de taille plus modeste, dont certaines se trouvent dans la « zone habitable » de l’étoile, c’est-à-dire une région où les conditions thermiques sont compatibles avec la présence d’eau liquide, qu’on considère indispensable à l’émergence de la vie.

Mais si l’existence de planètes extrasolaires est désormais avérée, qu’en est-il de leurs habitants ? Cette question soulève d’abord le problème de l’apparition de la vie et ensuite celui de son évolution vers des êtres intelligents doués d’une capacité technologique. Se pourrait-il que nous soyons les seuls êtres intelligents de cet univers ou les seuls à avoir développé une civilisation technologiquement avancée?

Approche statistique : « l’équation de Drake »

Une première approche est d’évaluer la probabilité d’apparition d’une civilisation technologique et d’évaluer le nombre de telles civilisations dans la galaxie susceptibles de communiquer avec nous. Cette approche a été introduite par l’astronome américain Frank Drake en 1961, auteur de l’équation qui porte son nom.

Selon l’équation, ou plutôt la formule, de Drake, ce nombre est le produit de plusieurs facteurs probabilistes tels que le taux de formation d’étoiles, la probabilité de trouver une planète dans la zone habitable de son étoile, la probabilité d’apparition de la vie, la probabilité d’émergence d’une vie intelligente, la durée de vie d’une civilisation, etc[2].

Malheureusement, si le taux de formation d’étoiles peut être estimé à partir des données issues des observations astronomiques, la probabilité de trouver une planète dans la zone habitable est plus incertaine et d’autres facteurs comme la probabilité d’apparition de la vie sont totalement inconnus, si bien qu’on peut en fait trouver n’importe quel résultat selon son degré d’optimisme : avec des hypothèses pessimistes, le nombre de civilisations avancées dans la galaxie est très inférieur à 1 (il doit être au moins égal à 1 puisque nous sommes là pour en parler !), et avec des hypothèses optimistes il peut être de plusieurs milliers ou beaucoup plus.

Il n’est guère aisé de faire des statistiques quand on ne connait qu’un seul cas, le nôtre. Disons qu’il n’est pas déraisonnable de supposer qu’il peut exister quelques dizaines voire même quelques centaines de civilisations dans la galaxie mais cette approche trouve vite ses limites et l’équation de Drake, si elle a apporté la notoriété à son auteur, ne nous conduit pas très loin.

Le paradoxe de Fermi

Ce qu’on appelle le paradoxe de Fermi, du nom du célèbre physicien italien, émigré aux USA avant la seconde guerre mondiale et auteur de la première réaction de fission nucléaire contrôlée, est le produit d’une discussion de cafétéria en 1950 entre Enrico Fermi et ses collègues du laboratoire de Los Alamos. Le contenu de cette discussion, qui porte sur l’existence de civilisations extraterrestres, a été rapporté par des participants. Elle peut être résumée ainsi : « Mais où sont-ils donc? Nous devrions les voir ».

Ce débat a été repris par l’astrophysicien Carl Sagan en 1966. Selon Sagan, une civilisation technologique qui a développé le vol spatial peut coloniser son système planétaire en quelques décennies. Ensuite, avec une vitesse d’expansion de 1% de la vitesse de la lumière, cette civilisation pourra atteindre les étoiles proches en quelques milliers d’années et parcourir toute la galaxie en quelques millions d’années (la Voie Lactée a un diamètre d’environ 100 000 années lumières).

Depuis les débuts de l’ère spatiale, de nombreux auteurs ont dit que l’envie d’explorer toujours plus loin est une constante de l’humanité. Citons par exemple le pionnier de l’astronautique C. Tsiolkovski (1911): « La Terre est le berceau de l’humanité mais on ne passe pas sa vie dans son berceau » et plus près de nous S. Hawking (2017): « Nous manquons d’espace et les seuls endroits où aller sont les autres mondes. Il est temps d’explorer d’autres systèmes solaires. S’étendre peut être la seule chose qui nous sauve de nous-mêmes ».

Cette vision ouvre une perspective grandiose: l’humanité, espèce interstellaire, va essaimer dans la galaxie quand la Terre deviendra invivable ou surpeuplée.

Admettons, mais qu’en est-il des « autres »?

L’émergence de la vie

L’émergence de la vie est considérée comme une étape naturelle de l’évolution planétaire dès lors que certaines conditions sont réunies. A ce jour on n’a cependant trouvé aucune preuve d’une vie extraterrestre dans le système solaire et au-delà. Concernant le système solaire, les missions spatiales en cours ou prévues vers Mars et les satellites des planètes géantes pourront peut-être nous apporter une réponse au cours des prochaines décennies. Par ailleurs dans quelques années ou dans quelques décennies, on pourra détecter grâce à de futurs télescopes au sol et spatiaux les marqueurs plausibles d’une activité biologique dans l’atmosphère de planètes extrasolaires proches.

Cependant les conditions ayant accompagné l’émergence de la vie terrestre sont très particulières et la probabilité est extrêmement faible qu’elles soient reproduites à l’identique ailleurs. Mais si elles sont suffisantes, sont-elles pour autant nécessaires?

On admet qu’un certain nombre d’ingrédients sont indispensables pour que la vie puisse apparaître :

  • de l’eau liquide, la chimie du carbone, une source d’énergie,
  • une planète rocheuse pourvue d’une atmosphère, située dans la zone habitable de son étoile,
  • une étoile dans sa séquence principale, avec divers paramètres: luminosité, spectre, métallicité, durée de vie.

Et puis il y a des conditions spécifiques à la Terre, dont on ne sait pas si elles sont nécessaires mais qui ont sûrement influencé son évolution biologique

  • l’existence de la Lune, qui a stabilisé la rotation de la Terre sur son axe,
  • une tectonique des plaques,
  • une magnétosphère produite par une dynamo interne (les mouvements convectifs de son noyau métallique liquide) qui protège la surface de la planète du bombardement des particules chargées du vent solaire,
  • la migration de Jupiter et Saturne aux débuts du système solaire (entre -4,5 et -4 Milliards d’années), qui a nettoyé l’espace interplanétaire et provoqué le grand bombardement tardif de météorites qui a apporté sur Terre de l’eau et de la matière organique.

Une vie intelligente?

L’émergence de la vie et d’une vie intelligente est une étape de l’évolution dont nous ne connaissons à ce jour qu’un seul exemple, le nôtre. Or on connait de multiples exemples de convergence évolutive, par exemple l’apparition à plusieurs reprises au cours de l’évolution et de façon indépendante du vol battu, commun aux ptérosaures, aux oiseaux et aux chauves-souris. S’il en est de même au niveau cosmique, en quelques milliards d’années d’autres formes de vie intelligente peuvent apparaître dans la galaxie.

Cependant il n’y a à ce jour aucune trace incontestable de la venue sur Terre d’extraterrestres au cours de l’histoire ; en particulier il n’y a pas de connexion certaine entre les phénomènes d’ovnis et des visiteurs extraterrestres.

On n’a pas non plus détecté de signe d’une vie intelligente extra-terrestre. Par exemple une civilisation technologique devrait émettre des ondes radio ; or les écoutes réalisées depuis les années 60 avec les programmes SETI (Search of ExtreTerrestrial Intelligence) n’ont donné aucun résultat[3].

D’ailleurs, serait-il possible de communiquer avec une forme d’intelligence non humaine (voir la relation homme-animal) ou avec une civilisation qui serait en avance sur la nôtre de plusieurs milliers d’années? Comment imaginer leur attitude envers nous? Si l’on se réfère à ce qu’il est advenu des peuples amérindiens à la suite de l’arrivée des Européens, tout ne serait-il pas à craindre en cas de contact avec une civilisation extra-terrestre plus avancée ? Mais après tout notre vision de ces autres n’est-elle pas trop anthropomorphique?

Comment résoudre le paradoxe?

Dans la recherche d’une solution rationnelle minimale au paradoxe de Fermi  (« rasoir d’Occam »), 3 options se présentent a priori:

(1) ils n’existent pas

(2) ils n’existent plus

(3) ils existent mais …

Option 1: Ils n’existent pas

Une hypothèse qu’on peut qualifier de mystique ou d’anthropocentriste estime que la machinerie cosmique n’existe que pour nous ; c’est pour avoir contesté cette hypothèse que Giordano Bruno a fini sur le bûcher. Elle nous paraît plutôt présomptueuse en nous donnant une importance que rien ne justifie.

Plus sérieusement l’hypothèse de la Terre rare suppose que l’émergence de la vie est un phénomène rare et que son évolution vers une vie intelligente est encore plus rare. La conséquence est que nous sommes seuls parce que la probabilité est extrêmement faible et que nous sommes le produit d’un monstrueux coup de chance.

Une version moins radicale de cette hypothèse de la Terre rare est que nous sommes seuls parce que la probabilité est faible mais néanmoins significative et que nous sommes à ce jour les premiers à avoir eu cette chance, qui peut néanmoins se reproduire ; après tout, il faut bien un premier : les autres n’existent pas encore, mais ils existeront sans doute.

Option 2: Ils n’existent plus

… Mais ils ont existé. Leur disparition peut être due à des causes internes si on admet qu’une civilisation assez évoluée pour maîtriser l’énergie nucléaire et le vol spatial finit inévitablement par s’autodétruire. Leur disparition peut aussi être due à des causes externes aléatoires dues à des événements cosmiques susceptibles de stériliser une planète proche : une supernova, c’est-à-dire l’explosion d’une étoile en fin de vie, ou un sursaut gamma résultant notamment de la coalescence de 2 objets massifs, étoiles à neutrons ou trous noirs. On peut aussi évoquer des catastrophes planétaires entraînant des conséquences à l’échelle globale et des extinctions massives : chutes d’astéroïdes, épisodes volcaniques intenses, glaciations. C’est ainsi à un épisode volcanique (les « traps » de Sibérie) qu’on attribue l’extinction de  95% des espèces marines la fin de l’ère primaire, et c’est à la chute d’un astéroïde combinée à un épisode volcanique (les « traps » du Deccan) qu’on attribue la disparition des dinosaures à la fin de l’ère secondaire ; on pense aussi que plusieurs épisodes de glaciation quasi-totale de la planète (la Terre boule de neige) sont survenus au cours du précambrien.

Option 3: Ils existent mais …

On peut citer de multiples explications anthropomorphistes, qui prêtent à ces autres des sentiments très humains, par exemple :

  • Nous ne les intéressons pas, mais c’est dur pour notre ego!
  • Ce sont des sages, ils ne veulent pas nous perturber.
  • Ils nous observent sans se montrer ; c’est l’hypothèse de la « réserve animalière » où l’on va observer les animaux dans leur milieu naturel en évitant de les déranger (on pense aussi au film « The Truman show »).
  • Ils sont déjà là ; cette hypothèse fait le miel des scénaristes hollywoodiens (« Men in black », « X files ») et des complotistes de tout poil (« le gouvernement américain cache la vérité sur ce qui s’est passé à  Roswell en 1947»).

On a  évoqué plus haut les rêves d’un destin spatial de l’humanité (voir les citations de Tsiolkovski et S. Hawking) mais après tout, il n’est pas du tout évident qu’une société technologiquement avancée veuille se lancer dans la colonisation de l’espace. Par exemple au 15ème siècle, les Portugais exploraient de nouvelles routes maritimes, prélude aux entreprises coloniales du siècle suivant ; cependant à la même époque, après les expéditions de l’amiral Zheng He sous l’empereur Yongle de la dynastie Ming, la Chine, qui alors n’était pas en retard technologique sur l’Europe, renonçait à une expansion hors de ses frontières.

Enfin, le voyage interstellaire pourrait être tout simplement impossible, en raison des distances considérables à parcourir : l’étoile la plus proche de nous, Proxima Centauri, est distante de 4 années-lumières; en voyageant à 1% de la vitesse de la lumière, ce qui bien au-delà des technologies actuellement disponibles, il faudrait donc 400 ans pour s’y rendre; si on a détecté des planètes autour de Proxima Centauri elles ne sont guère hospitalières ; l’étoile Trappist-1, autour de laquelle on a détecté un système planétaire dont certaines planètes pourraient être habitables, est distante de 40 années-lumières ; le voyage durerait donc 4000 ans. Cette difficulté est résolue par les auteurs de science-fiction et par des théories physiques qu’on peut qualifier de spéculatives car ne reposant pas sur l’observation ou l’expérience, en faisant appel à d’hypothétiques raccourcis dans l’espace-temps (voir le film « Interstellar »). D’autres auteurs ont imaginé des  flottes interstellaires voyageant pendant des générations, ou utilisant des techniques d’hibernation prolongée ; ces idées semblent aussi plausibles que le récit biblique de l’arche de Noé.

Où en est-on?

On a dit plus haut que l’émergence de la vie est une étape naturelle de l’évolution planétaire dès lors que certaines conditions sont réunies. En retour la vie modifie l’environnement planétaire; c’est par exemple à l’apparition de la photosynthèse chez les algues primitives qu’on doit l’enrichissement progressif de l’atmosphère terrestre en oxygène : on peut parler de la « co-évolution » de la vie et de son environnement. Cette évolution biologique, qui semble aller dans le sens d’une complexification croissante, est sans cesse ré-orientée par les changements environnementaux, notamment climatiques, selon le principe darwinien adaptation / sélection : on sait par exemple que les variations climatiques en Afrique de l’Est ont joué un rôle déterminant dans l’évolution des hominidés.

L’émergence d’une vie intelligente est une étape de ce processus d’évolution. Comme les espèces vivantes les sociétés évoluent et peuvent disparaître à la suite d’un cataclysme naturel ou faute d’avoir pu, ou su, s’adapter aux changements, subis ou provoqués, de leur environnement.

Cependant  l’expansion d’une civilisation va exiger des ressources de plus en plus importantes et risque de devenir non soutenable. Une forte poussée démographique et des réalisations grandioses peuvent entraîner l’épuisement des ressources naturelles et la dégradation de l’environnement ; c’est peut-être ce qui est arrivé à la culture originale de l’Ile de Pâques. Des cataclysmes naturels (éruption volcanique, tsunami, séisme) peuvent aussi ruiner une civilisation : l’explosion du volcan de Santorin au XVIIème siècle avant JC et une série de séismes au cours des deux siècles suivants ont eu raison de la civilisation minoéenne. Des changements environnementaux, notamment climatiques, peuvent entraîner famines, troubles sociaux et effondrement : c’est le cas de l’ancien empire égyptien. Dans le cas de la civilisation maya classique, il semble que sécheresse climatique et surexploitation des ressources se soient conjuguées pour précipiter sa fin vers le IXème siècle.

Hypothèse d’universalité évolutive

En survolant l’histoire géologique et biologique de notre planète depuis sa formation il y a environ 4,5 Milliards d’années on remarque plusieurs échelles de temps. Afin de mieux percevoir leur durée relative sans se laisser étourdir par les chiffres, millions ou milliards d’années, on peut ramener l’histoire de la Terre (4,5 Milliards d’années) à une seule journée de 24 heures. Dans cette perspective accélérée, la vie apparaît entre 2:40 et 5:20 (entre -4 et -3,5 Milliards d’années), elle connaît une diversification rapide à 21:07 (-541 Millions d’années, explosion cambrienne [4]) et subit plusieurs épisodes d’extinction massive, notamment  à 22:39 (-252 Millions d’années, transition permien-trias ou paléozoïque-mésozoïque[5]) et à 23:39 (-66 Millions d’années, transition crétacé-paléogène ou mésozoïque-cénozoïque[6]).

 Le genre Homo (-3 à -2 Millions d’années) apparaît moins d’une minute avant minuit (40 à 60 s), l’espèce Homo sapiens (-200 000 à -100 000 ans), notre propre espèce, apparaît 2 à 4 s avant minuit, puis les étapes se précipitent :

  • la révolution néolithique (-10 000 ans): 0,2 s avant minuit ;
  • la révolution copernicienne (-500 ans): 0,01 s avant minuit ;
  • la révolution mécanique (-200 ans): 0,004 s avant minuit ;
  • l’ère spatiale (-50 ans): 0,001 s avant minuit !

Cette parenthèse chronologique nous fait sentir à quel point notre civilisation est brève au regard des temps caractérisant l’évolution de la planète.

Après la très longue période de gestation précédent l’explosion cambrienne (avant -541 Millions d’années), la durée de vie des espèces vivantes de l’ère paléozoïque se mesure en dizaines de millions d’années. Durant la période suivante (depuis 252 Millions d’années) qui correspond aux ères mésozoïque et cénozoïque la durée de vie des espèces se mesure plutôt en millions d’années.

La vie intelligente apparaît avec le genre Homo et la durée de vie des espèces se mesure alors en centaines de milliers d’années.

Avec Homo sapiens apparaît une évolution de type darwinien (voir la section précédente) où les sociétés prendraient la place des espèces. L’histoire nous montre que la durée de vie d’une société est de quelques siècles ou quelques millénaires tout au plus. Ainsi donc notre civilisation occupe environ un millionième de l’histoire de la Terre.

Nous formulons l’hypothèse de l’universalité de ces échelles de temps pour toute vie extraterrestre éventuelle. Si la durée de vie d’une civilisation est ainsi limitée, la probabilité que co-existent temporellement deux civilisations ayant des niveaux technologiques suffisamment proches pour leur permettre de communiquer est extrêmement faible.

Conclusion (provisoire ?)

Nous devrions avoir au cours des prochaines décennies des éléments de réponse à la question de l’existence de la vie dans d’autres systèmes planétaires ; soit nous aurons une réponse positive si nos observations mettent en évidence la signature d’une activité biologique, soit, dans le cas contraire, nous aurons des arguments en faveur de l’hypothèse de la Terre rare. Quant à  l’émergence d’une vie intelligente et d’une civilisation avec laquelle nous pourrions communiquer, les ordres de grandeur des échelles de temps caractérisant l’évolution géologique et biologique d’une planète, en supposant qu’ils sont universels, laissent peu d’espoir pour la possibilité d’une interaction, a fortiori d’une rencontre. Ainsi, même s’il est possible que d’autres existent, existeront ou aient existé, nous risquons fort de ne jamais en détenir la preuve.

Remerciements 

Merci à Thérèse Encrenaz, de l’Observatoire de Paris, pour ses judicieuses remarques.


[1] Démocrite (Fragments, IVème siècle avant J-C) : « Les mondes sont illimités et différents en grandeur: dans certains il n’y a ni soleil ni lune, dans d’autres le soleil et la lune sont plus grands que chez nous, et dans d’autres il y en a plusieurs ».

Epicure (Lettre à Hérodote, début du IIIème siècle avant J-C) : «  Il y a une infinité de mondes dont les uns ressemblent à celui-ci et les autres ne lui ressemblent pas».

Lucrèce (De Rerum Natura , 1er siècle avant JC): « On ne saurait tenir pour vraisemblable que seuls notre terre et notre ciel aient été créés […]. Aussi, je te le répète, il te faut reconnaître qu’il y a ailleurs d’autres groupements de matière analogues à ce qu’est notre monde ».

[2] La formule de Drake est le produit de sept facteurs :

N = R   ×   fp   ×   ne   ×   fl   ×   fi   ×   fc   ×   L

N est le nombre probable de civilisations dans notre galaxie avec lesquelles nous pourrions entrer en contact

R* est le nombre d’étoiles en formation par an dans notre galaxie

fp est la fraction de ces étoiles possédant des planètes

ne est le nombre moyen de planètes potentiellement propices à la vie par étoile

fl est la fraction de ces planètes sur lesquelles la vie apparaît effectivement

fi est la fraction de ces planètes sur lesquelles apparaît une vie intelligente

fc est la fraction de ces planètes capables (et désireuses) de communiquer

L est la durée de vie moyenne d’une civilisation, en années

Avec ses propres estimations pour ces facteurs, Drake obtenait N=10.

[3] Par le passé, ces écoutes relevaient plutôt de la recherche de l’aiguille dans la meule de foin.  Maintenant qu’on connait des exoplanètes rocheuses présumées dans la zone habitable de leur étoile, des recherches de type SETI pourraient sans doute être plus ciblées.

[4] Le cambrien est la première période de l’ère primaire ou paléozoïque. Ce qu’on appelle « l’explosion cambrienne » est l’apparition soudaine (à l’échelle géologique) des grands embranchements actuels du vivant.

[5] Le permien est la dernière période du paléozoïque. Le trias est la première période de l’ère secondaire ou mésozoïque. La période jurassique suit le trias.

[6] Le crétacé, qui suit le jurassique, est la dernière période du mésozoïque; lui succède le paléogène, première période du cénozoïque, qui regroupe les anciennes dénominations tertiaire & quaternaire.