Tourisme spatial : on décolle à pleins tubes

Au cours de l’année 2021, les média à l’unisson se sont fait bruyamment l’écho de plusieurs événements de « tourisme spatial ».

En juillet le patron de Virgin Richard Branson, à travers sa société Virgin Galactic et la navette Spaceship 2, puis quelques jours plus tard le patron d’Amazon Jeff Bezos, via sa société Blue Origin et la navette New Shepard, ont permis à leurs clients, pour un tarif d’environ 250 000 $, de contempler de haut la courbure de la Terre. Le vol dure 2 à 3 heures, la navette monte à 100 km et procure à ses passagers 4 à 5 minutes d’impesanteur ; il ne s’agit pas véritablement d’espace mais de saut de puce dans la stratosphère.

On peut véritablement parler de ballade spatiale avec le projet d’Elon Musk, le fantasque patron de l’entreprise spatiale Space X. En septembre de cette même année 2021, une capsule dérivée de la capsule Crew Dragon qui dessert l’ISS, et lancée par le même lanceur Falcon 9 que celle-ci, a effectivement tourné 3 jours autour de la planète à une altitude comprise entre 365 et 585 km avec 4 passagers à son bord.

A titre de comparaison, un Français produit chaque année environ 11 tonnes de gaz à effet de serre, dont 8 tonnes de dioxyde de carbone (CO2), le reste étant principalement constitué de méthane[1]. Rappelons que l’objectif est de ramener ces chiffres respectivement à 2 tonnes et 1 tonnes dans la seconde moitié de ce siècle.

Un passager durant un vol de Space X est responsable de l’émission de 1150 tonnes de CO2. Encore ne s’agit-il que des émissions directement liées au vol, sans prendre en compte l’effet de la construction des infrastructures nécessaires ; par ailleurs, en plus du CO2, un vol spatial produit également des suies et divers composés toxiques.

En résumé, le « tourisme spatial » est une calamité pour l’environnement et un gâchis considérable de ressources. Il est indécent que de tels efforts soient mis en oeuvre à seule fin d’apporter des sensations fortes à quelques-uns. Il est obscène que ceux-ci soient assez riches et assez inconscients pour vouloir les connaître.

Aujourd’hui, après un demi-siècle de vol spatial habité, seule une poignée d’humains sont allés dans l’espace, au prix d’efforts considérables. Cependant les promoteurs du « tourisme spatial » affichent dans leur discours leur conviction de sa démocratisation à l’avenir. Cela appelle un commentaire. Jusqu’à présent des aventures dont on peut questionner l’utilité, comme le safari au Kenya ou l’ascension de l’Everest, sont demeurées hors de portée du premier venu, bien qu’elles soient bien moins complexes et coûteuses qu’un vol spatial habité. Le « tourisme spatial », s’il devait perdurer, restera une activité marginale car son coût et sa complexité demeureront élevés. Il est d’ailleurs heureux qu’il garde ce caractère marginal car là où le tourisme de masse s’est développé, il s’est révélé plutôt néfaste pour la planète[2]. Activité marginale, certes, mais qui n’en serait pas moins choquante.

Au retour d’un de ces vols, un passager s’était déclaré ému d’avoir pu contempler d’en haut la beauté fragile de la Terre et convaincu de la nécessité de la protéger. Ne pas encourager la poursuite de ces initiatives, dont l’unique motivation est la course au profit aux dépens de l’état de la planète, serait un bon début.


[1] Source : Commissariat Général au Développement Durable (Janvier 2020). Ces chiffres concernent l’empreinte carbone directe et indirecte (via la production de biens et de services) ; la moitié environ est d’origine énergétique.

[2] Pour s’en convaincre, il suffit de penser aux rivages méditerranéens bétonnés ou aux bateaux de croisière géants évoluant dans la lagune de Venise.